Ingénieur à Limoges, ce trentenaire d’origine bretonne crée des vélos en bambou en Charente dans la propriété familiale, à Saint-Maurice-des-Lions. Des œuvres uniques. Des « objets d’une vie ».
Lieu-dit de Gamory, un matin sous la pluie. À l’entrée du hameau, en arrivant de Saint-Maurice-des-Lions, un tilleul monumental cache une non moins imposante bâtisse, cinq fois centenaire. C’est là, dans le grenier attenant à la maison, que Louis Segré a installé son atelier « il y a un an et demi ».
« Mon arrière-grand-père a acheté la propriété. On y venait en vacances avec mes parents. J’y ai fabriqué mes premières cannes à pêche en bambou », se souvient cet ingénieur de 31 ans, né en Bretagne. « Je n’y suis pas resté longtemps, on a surtout vécu à La Rochelle » et, pour son cas, étudié à Nantes: « Deux ans d’IUT, une année de prépa et trois années à l’école Centrale ».
De cette époque estudiantine, Louis Segré garde surtout le souvenir des courses à la voile – « J’ai commencé à 10 ans » -, et notamment la Mini Transat 2013 en solitaire, qu’il termine, avec un proto 6.50, à la huitième place. Sur 31 partants dans sa catégorie, seule la moitié était arrivée.
À partir de là, il rejoint une destination tout aussi exotique, Brasov, en Roumanie, où, « pendant deux ans et demi », il va travailler « dans une entreprise qui fabrique des mâts pour les bateaux ». À l’issue de cette expérience, il entreprend, avec sa copine, Charlotte, qui deviendra sa femme, de descendre « au Chili en bateau par le canal de Panama ». Ils travaillent pendant un an à Santiago: « Là-bas, j’ai fabriqué un vélo en acier avec un artisan ». Le déclic? « Pas vraiment, j’avais ce projet en tête depuis pas mal de temps mais, à l’époque, on bougeait trop pour le concrétiser ».
À son retour en métropole, le couple se pose à Limoges. Son épouse y « crée sa société ». Lui est embauché dans une société d’ingénierie. Et pense alors plus sérieusement à son projet. « À l’été 2019, on voulait descendre au Pays basque mais on n’avait pas les vélos adaptés. C’est là que je décide de fabriquer deux vélos en bambou. » Louis Segré éclate de rire: « On est partis sans que les vélos soient vraiment finis. Les dérailleurs tenaient avec de la ficelle. Et, au début, on freinait dans les descentes, de peur qu’ils ne tiennent pas ». Mais ils tiennent. Grâce à sa connaissance des matériaux composites qu’il utilise pour les jonctions au niveau « de la fourche, du pédalier, de la selle… »: fibre de carbone – « costaud mais pas écologique » -, fibre de lin ou résine époxy « biosourcé ».
Le cadre et la fourche sont, eux, en bambou: « Il y en a plus de mille espèces. Moi, j’utilise le bambou Tam-Wong, dit bambou de fer, qui est quasiment plein, et le bambou de Tonkin, aux parois épaisses et qui est utilisé pour les cannes à pêche à la mouche ».
Si la résistance est la première des qualités de ces graminées, Louis Segré privilégie aussi cette matière pour son esthétisme, sa légèreté – « un cadre en bambou pèse moins de 2 kilos, un cadre en acier en pèse 2,5 » – et une propriété physique particulière: « Le bambou filtre les vibrations. Un vélo en carbone est plus réactif mais on sent le moindre gravillon. Quand on fait une sortie de 100 km et qu’on se retrouve avec plus du tout de sang dans le bout des doigts et les fesses en bouillie, on accepte que le bambou soit moins réactif que le carbone ».
Fort de ses deux premières réalisations, Louis Segré « équipe toute la famille » en s’inspirant « de ce qui existe car je ne suis pas le premier ni le seul à faire des vélos en bambou » et « en adaptant les bonnes idées ». Il en est aujourd’hui à son neuvième opus: « J’ai trouvé la bonne recette, je suis satisfait du rendu final, de sa solidité. J’ai confiance dans mon produit ». Et, du coup, il a décidé de franchir le cap de la commercialisation (1). Il en a déjà vendu trois, un gravel (VTC) et deux électriques. Des pièces uniques: « Il y a d’abord un échange avec le client. Qui peut durer cinq minutes ou trois mois. Je regarde le vélo qu’il a déjà, sa posture ».
Il lui faut « un mois dans le meilleur des cas » pour fabriquer cet « objet d’une vie », qui « vieillit bien ». Les prix, selon le modèle, tournent autour de 4 000 €. Ses œuvres sont donc forcément réservés à des passionnés même si l’essor du vélo, en 2020, peut assurer son avenir: « Je pourrais en vivre mais je ne veux pas avoir une seule activité. Pour l’instant, je continue à travailler à Limoges, à 80 %, et je consacre le reste de mon temps à la fabrication. Après, ce métier est usant. Poncer, gratter, se pencher, se retourner, avaler la poussière, on peut être vieux à 40 ans… ».
Son objectif est de produire « un vélo par mois » mais pas tout de suite car il prépare le rassemblement des artisans du cycle, « en juin 2021 dans les Hautes-Pyrénées ». Il aimerait y exposer son savoir-faire: « Je vais fabriquer mon premier VTT ». En attendant, pourquoi pas, de réaliser une draisienne, un vélo cargo ou même un tandem. Chez Louis Segré, les idées sont sur le grand braquet.